Collaboration spéciale
Nous vivons aujourd’hui une véritable révolution dans l’aménagement des espaces de travail, qui deviennent des milieux de vie agréables. La multiplication du concept de campus d’entreprise en est un bon exemple.
L’entreprise propose à ses travailleurs un ensemble de services et de zones de travail spécifiques au sein de ses bâtiments.
Les bureaux et les salles de réunions sont conservés. Cependant, les campus proposent des espaces de restauration et des cafés, comme ceux que l’on peut trouver en ville. On trouve des laboratoires d’innovation et de création, sortes d’incubateurs mettant à disposition le matériel nécessaire à tout employé entrepreneur. Enfin, des espaces ludiques et des espaces extérieurs sont aménagés pour la détente ou le travail en plein air. Issus des modèles universitaires, ces micro-villes répondent aux besoins actuels du travail alliant bien-être, valeur et innovation.
« Ce n’est pas seulement le siège mondial qui est ici. C’est l’âme de l’entreprise. Quand nos clients ou nos fournisseurs viennent sur le campus, ils sont touchés par notre culture d’entreprise, fondée sur la passion de nos métiers, la créativité et l’autonomie », Jean Bélanger de Premier Tech à Rivière-du-Loup (photo).
On parle d’entreprise élargie, où les projets sont conçus conjointement avec le client et le fournisseur. L’époque n’est plus à la relation purement contractuelle mais une relation de partenaire. Il devient indispensable de collaborer et même co-innover afin de bien comprendre les besoins clients et ainsi pouvoir y répondre au mieux. Pour cela, une communication franche et fluide et l’accès aux informations demeurent indispensables.
L’ère de la collaboration
Les journées de travail se suivent, mais ne se ressemblent pas. Les façons de travailler ont évolué. Elles sont plus coopératives. Les métiers ne cessent de s’enrichir. On communique beaucoup de manière informelle grâce aux plateformes de communication collaboratives comme Slack par exemple. On partage notre information et nos connaissances grâce à des outils comme confluence.
La tendance est de créer des espaces de travail dans lesquels les travailleurs évoluent selon leurs propres besoins ; calme et propice à la concentration ou favorable à l’échange et à la discussion.
Il existe aujourd’hui toutes sortes de configurations possibles. On conçoit du mobilier qui s’ajuste à nos besoins, des matières plus naturelles et une attention particulière à la lumière.
Les espaces deviennent alors personnalisables.
Qu’est-ce qui pousse les grandes institutions comme Radio-Canada ou la Banque Nationale (photo) à revoir complètement l’aménagement de leurs bureaux ?
Le secret du bonheur au travail
Des travaux de recherche de l’université de Warwick ont démontré la corrélation entre le bonheur et la performance : “le bonheur rendait les gens environ 12% plus productifs »[1]. D’autres études parlent de l’influence du stress sur la productivité des travailleurs et préconisent de « créer un environnement intérieur et un climat de travail confortables » [2] pour améliorer la créativité et l’engagement des employés.
Florence, 26 ans de Montréal, témoigne de l’importance de se sentir bien au travail pour elle comme pour plusieurs de sa génération: “Je n’ai pas hésité à quitter mon travail dans une entreprise dont la culture austère se reflétait dans un environnement triste et froid. J’ai besoin de me sentir bien, dans un espace chaleureux, qui invite à travailler plus fort. C’est ce genre d’attention qui me motive et rend mon travail satisfaisant”.
La marque employeur
A l’instar des concepts de marketing jouant sur l’image d’une compagnie pour attirer les consommateurs et le conserver, la marque employeur est aussi utilisée pour le recrutement des talents. Les espaces deviennent plus stimulants et épanouissants et permettent de dénicher les talents les plus prometteurs, mais également de fidéliser les employés qui pourraient être tentés par d’autres expériences professionnelles, dans un contexte de rareté de la main d’oeuvre.
Un phénomène qui touche tous les secteurs
Les usines connaissent également des modélisations qui permettent d’augmenter la productivité du travailleur en lui facilitant les tâches et en se concentrant sur son ergonomie. L’objectif étant d’améliorer la sécurité au travail. C’est cette même logique qui s’applique aux métiers des services.
Les espaces ouverts sont-ils une fausse bonne idée ?
Depuis la fin des années 1970, le concept des bureaux ouverts est vu comme une innovation facilitant les interactions, le partage d’information et la créativité. Les espaces ouverts ont aussi permis de réaliser des économies d’espaces.
Selon HubSpot, l’espace moyen par employé diminuera de 400 à 150 pieds carrés par personne d’ici 2020. L’augmentation du nombre de travailleurs à distance contribuera à éliminer la surpopulation dans ces bureaux en diminution. Dans ce contexte, il est essentiel de créer des espaces de travail multiformes.
On parle de l’entreprise comme un “jardinier de la connaissance” mettant tout en oeuvre pour stimuler la créativité et les échanges informels entre les acteurs, indispensables à l’innovation [4].
La création de lieux de rencontre informels comme les cafés, les tiers lieux et fablabs, tout comme le développement d’événements de conférences ou forums, de projets comme des hackatons, ou encore d’espaces cognitifs propices à la construction ou la diffusion d’idées participent à cet effort d’innovation en entreprise.
Pourtant, depuis les années 2000, l’espace ouvert est de plus en plus remis en question par les travailleurs eux-mêmes. “L’espace ouvert’’ a été vivement critiqué pour la multitude de perceptions ressenties par ses occupants, telles que la perte de confidentialité, la perte d’identité, la faible productivité au travail, divers problèmes de santé, la stimulation excessive et la faible satisfaction au travail’’ [3]. Il importe que l’employé s’approprie son espace de travail.
La limite entre l’espace privé et public disparaît
Les nouvelles générations participent à la modification de la façon de travailler. « Ce que les milléniaux veulent le plus au travail, c’est un bon équilibre entre le travail et leur vie personnelle … et la flexibilité au travail. »[6]. 27,8% des milléniaux choisissent leur employeur en fonction de la conciliation travail/famille et la flexibilité des horaires [7].
D’autres caractéristiques sont aussi à prendre en compte :
- l’opportunité de grandir dans l’entreprise (13,4%),
- le sens de créer un impact (9,3%),
- le développement professionnel (8,3%),
- l’impact sur la société (6,8%).
Par ailleurs, ils ont l’habitude de travailler de partout, de la bibliothèque aux cafés de quartier (photo: Les oubliettes). L’accès au Wifi est facile et omniprésent avec les téléphones intelligents ou les ordinateurs portables. Les systèmes d’information deviennent « nuagiques ». Dans ce contexte, difficile d’imaginer qu’ils puissent tenir en place dans un bureau et travailler de manière statique dans l’environnement numérique qu’ils ont adoptés comme véritable mode de vie.
Comment amorcer le changement ?
Comme beaucoup de concepts, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises solutions. Le réaménagement peut passer par des solutions de simples améliorations comme la création d’espaces informels modulables. Il peut aussi s’agir de redéfinition complète des espaces, proposant une multitude d’atmosphères et des bureaux partagés. Tout réside dans l’art de s’adapter au contexte de l’entreprise.
Comment définir l’espace idéal ?
Comme dans tout projet de transformation, il est important d’impliquer les principaux acteurs : les employés eux-mêmes. Ils connaissent mieux que personne leur journée type, leurs besoins spécifiques et tout ce qui faciliterait leur travail.
Le design thinking [6] (photo) est une approche centrée sur les besoins de l’utilisateur, qui peut être utile pour entreprendre un projet de réaménagement.
L’espace idéal ne suffit pas. Il faut que cela s’inscrive dans une stratégie de gestion intégrée. L’amélioration des espaces ne change pas la dynamique à eux seuls. Des processus clairs dans un environnement cohérent permettent à l’employé d’être motivé et mobilisé dans l’objectif d’atteindre de meilleurs résultats. Dans bien des cas, il s’agit d’une véritable culture d’organisation en évolution.
Lire aussi:
Collaboration spéciale: Johanna Mariani, chercheure IA
Références:
[1] Oswald, Andrew J., Proto, Eugenio and Sgroi, Daniel. (2015) Happiness and productivity. Journal of Labor Economics, 33 (4). pp. 789-822.
[2] Hui, F. K. P., & Aye, L. (2018). Occupational Stress and Workplace Design. Buildings, 8 (10), 133.
[3] Engelen, L., & Held, F. (2019). Understanding the Office: Using Ecological Momentary Assessment to Measure Activities, Posture, Social Interactions, Mood, and Work Performance at the Workplace.
[4] Oommen, V.G.; Knowles, M.; Zhao, I. (2008). Should health service managers embrace open plan work environments? Asia Pac. J. Health Manag., 3, p. 37–43
[5] Grandadam, D., Cohendet, P., Simon, L. (2013). Places, Spaces and the Dynamics of Creativity: The Video Game Industry. In Montreal, Regional Studies (Vol. 47, p. 1701–1714).
[6] Millennials Open Door to Fun, Functional Office Space. (2014). Journal of Property Management, 79 (3)
[7] Selon l’étude Millennial Survey 2016 de Deloitte.