Se comparer soi-même à un Ford Taurus

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Source : Maxime Tremblay

Février 1992, à Québec. Mon inséparable copain Simon et moi avons emprunté un peu d’argent à nos proches, obtenu un PPE à la Banque Laurentienne (avec des endosseurs) signé un bail commercial et créé notre studio d’infographie! Avec deux flamboyants Macintosh Quadra, une imprimante laser de professionnels et des licences Photoshop toutes neuves, nous étions lancés en affaires. À 21 ans, plein d’insouciance et de confiance en l’avenir, quelques centaines de dollars et deux clients et quart devant nous, c’était le premier jour de ma vie d’entrepreneur et j’étais certain d’être sur mon X.

Ceux qui me connaissent le savent, j’ai eu beaucoup de plaisir à opérer Tremblay & Litalien jusqu’à la fin de 1999, moment où j’ai vendu ma participation pour déménager à Montréal et créer mon deuxième projet. C’est à cette époque que j’arrive dans le secteur informatique en démarrant Mærix avec mon vieux pote Éric. Cette nouvelle aventure a duré cinq belles années avant que je m’éclipse pour créer Fin Finaud, cette fois-ci seul. L’époque Mærix a été très enrichissante, avec des hauts et des bas très accentués. Je garde de précieux souvenirs (et quelques cicatrices) de cette belle époque.

C’est donc dire que depuis ce jour de février, je n’ai plus jamais eu de patron. Février 2017 marque mes 25 ans d’expérience entrepreneuriale et, tel un Ford Taurus 1992, je suis un peu cabossé, j’ai de la rouille dans les joints, mon moteur prend un peu d’huile, mais j’ai toujours autant de plaisir à avaler les kilomètres. (Suis-je vraiment en train de me comparer moi-même à un Ford Taurus? Deuxième question : est-ce qu’un Taurus peut vraiment durer 25 ans?)

Durant toutes ces années, j’ai été seul, j’ai eu des associés, j’ai eu des équipes variables (allant jusqu’à une trentaine), j’ai parlé avec des avocats, des banquiers, des clients, des arnaqueurs, des rêveurs, des menteurs, des passionnés, des génies, des leaders, des suiveurs… de tout! J’ai travaillé avec des gens fantastiques, j’ai créé des amitiés durables, j’ai croisé bien du monde et roulé beaucoup beaucoup de kilomètres avec ma casquette de vendeur (et jamais dans un Ford Taurus).

Peut-être que l’entrepreneuriat n’est pas pour tout le monde, et je dois dire qu’il m’est arrivé d’envier des amis qui avaient des grosses jobs avec le double de mon salaire, plus de vacances, des jours de maladie (tsé, avoir le droit d’être malade) et des voyages d’affaires avec un compte de dépenses. Mais moi, à partir du moment où j’ai placé la ligne faire de l’argent plus bas dans ma liste de priorités, j’ai eu énormément de plaisir et la profonde conviction que c’était une vie faite pour moi.

Bien entendu, il y a eu des moments difficiles et bien des occasions de me décourager… voilà pourquoi ma carrosserie est cabossée et ma peinture rayée à plusieurs endroits, mais aujourd’hui, je ne regrette pas un seul kilomètre de ce parcours. Je pense que c’est un grand privilège de tenir le volant de sa vie, d’être son propre GPS et de choisir les directions qu’on prend.

Mon vieux copain Simon et moi (Tremblay & Litalien), 25 ans plus tard

Alors comme 25 ans me donnent une aura de sagesse, allons-y de quelques conseils en vrac pour le jeune entrepreneur en vous (ou celui qui serait proche de vous) :

Prendre ses décisions soi-même

Quand on choisit une vie d’entrepreneur, c’est qu’on a le goût de contrôler son destin. Cette vie implique de prendre certains risques et de devoir en assumer les conséquences. Il y aura des personnes autour de vous qui voudront influencer vos choix et qui vous indiqueront le chemin qu’eux voudraient emprunter. Gardez en tête les raisons qui vous ont poussé à prendre des risques, gardez aussi en tête que vous serez seul à en vivre les conséquences. Je me suis souvent répété à moi-même : « Si untel veut prendre les décisions, il n’a qu’à aller au bureau des incorporations et démarrer sa propre entreprise! ». Comprenez-moi bien, il est bon de prendre des conseils, de demander l’avis de personnes de confiance, de lire des bouquins et des articles sur la gestion. Mais ultimement, prenez vos décisions vous-même. Les mauvaises décisions seront plus faciles à digérer et les bonnes seront plus gratifiantes.

Connaître sa zone de confort

Parlant de prendre des risques, sachez qu’il n’est pas nécessaire d’en augmenter le niveau jusqu’à en souffrir. Certains entrepreneurs sont prêts à tout pour réussir, ils sont capables de tout risquer sur une idée les yeux fermés… mais, ce n’est peut-être pas votre cas et c’est bien correct. Chaque entrepreneur a son propre niveau de tolérance au risque et c’est important de connaître (et de respecter) sa propre zone de confort. Que la vôtre soit forte ou faible aura probablement un effet sur vos affaires et, à mon avis, c’est parfait comme ça. Vous dirigerez une entreprise qui vous ressemble et dans laquelle vous aurez sans doute plus de plaisir.

Se protéger

Celui-ci est presque un sous-conseil, en lien avec la question de la zone de confort. Personnellement, je pense qu’il est important de se protéger, autant financièrement que moralement (ou mentalement). C’est le bout de texte où je dois parler d’équilibre… d’équilibre de vie. Il ne faut pas se placer dans une situation intenable qui pourrait nous faire du mal, ne pas se surmener, ne pas briser sa famille parce qu’on est trop mono-maniaque de son entreprise. Je sais que vous le savez, je sais que ce conseil peut sembler superflu… mais je vous assure que c’est essentiel. Au fil des années, j’ai rencontré bien des fois des chefs d’entreprises qui regrettaient d’avoir manqué d’équilibre et qui avaient perdu des morceaux importants de leur vie personnelle.

Bien dormir

C’est plus une règle de vie que je me m’impose qu’un véritable conseil de sage : si quelque chose te trotte dans la tête à un tel point qu’il t’empêche de dormir, ne tarde pas à le régler. Un même problème ne devrait pas nous empêcher de dormir plusieurs soirs de suite. Le manque de sommeil est un ennemi malicieux et très puissant qui altère le jugement, modifie l’humeur et cause bien des maux. Chaque matin, je pense qu’il est important d’être d’attaque, bien reposé, confiant et prêt à donner l’exemple du leader qui vient au travail le pas léger et affichant un large sourire.

Encore ici, il n’est pas simple d’atteindre cet objectif à chaque matin, mais une chose est certaine : un tracas qui vous garde éveillé jusqu’à l’aube ne sera d’aucun secours. Ceci dit, la drogue et l’alcool non plus… mais, je n’ai pas besoin d’écrire ça, hein?

Parler avec un mentor

Une ressource (souvent méconnue) qui m’a toujours accompagné dans ma vie d’entrepreneur : un mentor. Cette personne sera la soupape à qui on peut tout dire, autant les bons que les mauvais coups… un confident d’affaires, en quelque sorte. En bonus, le mentor peut parfois être une bonne source de conseils, ou offrir quelques adresses de son carnet, bien que son rôle officiel soit de faire naître en vous des questionnements essentiels qui vous feront avancer. Moi, c’est pour briser la solitude de l’entrepreneur que j’ai le plus aimé être accompagné par un mentor. On peut choisir un parent ou quelqu’un de son entourage, mais c’est encore mieux quand c’est quelqu’un qu’on ne connaissait pas avant.

Je m’en voudrais de ne pas laisser ici un lien vers le Réseau M, que j’apprécie tant.

Compter sur soi

Ou… je devrais peut-être écrire ne pas trop compter sur les autres. Ce que je veux dire ici, c’est que même si on est bien entouré, même si on dirige une équipe de feu, même si on pense que les astres sont alignés pour conquérir le marché… il y aura des déceptions, il y aura des départs et il y aura des mécontents. Quand la situation se corse, l’entrepreneur est souvent seul. Je ne prétends pas que c’est surprenant ou fâcheux, mais je pense que c’est important de le savoir et d’y être préparé.

Au fil des années, j’ai pris l’habitude de réfléchir aux risques qui m’entourent et d’établir des scénarios dans ma tête pour y faire face. Quand une situation désagréable se présente, j’ai parfois un plan tout préparé. Et quand ce n’est pas le cas (on ne peut pas penser à tout) je suis entraîné à trouver des solutions, sans paniquer!

Choisir ses combats

Un conseil facile ici : savoir juger ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Mettre ses énergies sur les batailles qu’on peut gagner, investir son temps à bouger les choses qui peuvent bouger. Il s’agit d’un conseil qui s’applique à plusieurs facettes de la vie, mais je pense que c’est spécialement important dans une vie d’entrepreneur. Important pour garder un certain équilibre et important pour garder le contrôle sur son niveau de stress. Combien de fois j’ai vu des entrepreneurs mettre beaucoup trop d’énergie sur les mauvais dossiers!

Avoir du fun

Dernier conseil et non le moindre : avoir du fun! Il faut avoir du plaisir dans sa vie d’entrepreneur. Pas tous les jours et à chaque minute, bien évidemment (et comme dans toutes les facettes de notre vie). Mais si la vie d’entrepreneur est trop stressante, qu’on est hors de notre zone de confort, qu’on ne dort plus et qu’on a peur de démolir sa vie personnelle, il est sans doute temps de changer les choses ou de carrément passer à autre chose. Personnellement, je trace un bilan très positif des 25 dernières années même si je me suis souvent posé la question à savoir si j’avais encore du fun. Quand j’ai eu l’impression que le plaisir pâlissait, j’ai effectué des virages pour me placer dans une situation qui me rendait heureux. Dans le fond, c’est exactement pour avoir ce privilège que j’ai choisi la vie d’entrepreneur.

L’ami Éric, dans les premiers bureaux de Mærix, en 2001

Alors voilà. On ne résume pas 25 ans en quelques paragraphes, mais si ce bout de texte participe à donner un coup de pouce à un entrepreneur et lui permettre d’éviter un nid de poule, ce sera mission accomplie. Je crois en l’entrepreneuriat, je l’aime passionnément et je suis convaincu que c’est dans le haut de la liste des meilleurs métiers du monde.

Et la prime, au bout de tous ces efforts? Ne le dites pas trop fort, mais j’en ai rencontré qui font beaucoup beaucoup d’argent… et ça ne semble pas être trop désagréable.